Lu pour vous
Cécile Oumhani, L’Atelier des Strésor
La Plume et le Pinceau
A cause de cette ‘fenêtre de l‘âme’ qu’est l’œil tout artiste est un poète qui s’ignore. Cela s’entend, mais peut-on dire autant du poète, lui qui s’adresse à l’esprit ? La poésie ne possède pas l’impact visuel du ‘modelé’ ou du pinceau, cet art selon Léonard de Vinci, à la fois ‘science’ et philosophie, « la principale voie par où notre intellect peut apprécier pleinement et magnifiquement l'œuvre infinie de la nature.» Pourtant, à lire le nouvel ouvrage de Cécile Oumhani, L’atelier des Strésor, qu’elle vient de publier à Tunis, aux Editions Elyzad, on est bien tenté de répondre par l’affirmative : tout poète est un artiste qui s’ignore.
Qu’on ne s’y trompe pas : la poésie ne peut, en principe, suppléer le visuel, mais comme art de l’esprit et principal vecteur de la rêverie créatrice, à la croisée de plusieurs disciplines, elle constitue le point de rencontre inévitable. Et Cécile Oumhani, poète et romancière, ne le sait que trop. Le beau tableau, "Femme au bouquet", qui figure sur la couverture de A Fleur de mots, La Passion de l'écriture, l’un de ses premiers livres, est l’œuvre de sa mère, peintre de talent, aujourd’hui disparue.
Aussi, disons-le tout de suite, L’atelier des Strésor est l’histoire vraie d’une famille de peintres, une œuvre aussi novatrice qu’élégante, mêlant avec sensibilité poésie et couleurs. On ne manquera pas d’y retrouver, en filigrane, la caractéristique de l’écriture de Cécile Oumhani, l’art de la suggestion et du non-dit.
Ce livre se lit d’une seule traiteL’action se déroule à Paris, où Henry Strésor, fuyant son Allemagne natale ravagée par la guerre de Trente ans entre l’empereur Ferdinand III, la France et l’Espagne, a trouvé refuge en 1637. Comme il avait, auparavant passé trois années d’apprentissage à La Haye auprès du portraitiste Ravesteyn, il fut tout naturellement recruté par les frères Louis, Antoine et Mattieu Le Nain, peintres de renom, pour travailler dans leur atelier rue du Vieux Colombier.
Là, le jeune homme, habitué à l’art flamand, fut tout de suite subjugué par la définition progressive des tableaux à la française et la sincérité qui en émanait. En décrivant avec finesse, tel un artiste-peintre, par petites touches, sans jamais le nommer, la création de l’ambitieux tableau des frères Le Nain, ‘La Visite à la grand’mère’, Cécile Oumhani, permet à son personnage principal de revivre, par contraste, son douloureux parcours et de se souvenir de sa propre famille décimée par la guerre et la peste:
« Une époque endiguée des jours entiers déferle. Des images et des voix. Des nuances d’encre noire…Il revient chez lui après un premier apprentissage chez son maître de Francfort. Des contrées désertes. Des terres retournées à l’état de friches…Plus d’habitants dans les villages pour raconter leur mort. Son appréhension grandit. Il a laissé des parents âgés avec un frère cadet, amoureux de peinture lui aussi. (pp 20-21)
Rafik Darragi
Cécile Oumhani, L’Atelier des Strésor, Editions Elyzad, 165 pages, 12, 900DT
------
Cécile Oumhani, L’Atelier des Strésor, Editions Elyzad, 165 pages, 12, 900DT
------