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17 septembre 2016 6 17 /09 /septembre /2016 11:00

Rafik Darragi, Sophonisbe, la gloire de Carthage, roman, Ed. Séguier, Paris, 2005.

Après Le faucon d’Espagne, (2003) et Egilona, la dernière reine des Visigoths (2002 ) Ed. L’Harmattan, deux romans historiques, l’écrivain et universitaire tunisien revient avec un roman consacré à Carthage et la reine Sophonisbe. Les événements historiques de ce roman didactique, selon la volonté de l’auteur, se situent lors des guerres puniques ( 264-146 av. J.-C.) . Guerre et amour s’entremêlent pour rendre hommage à une des grandes femmes de la Tunisie, princesse tragique et héroïne politique, sacrifiée sur l’autel de la raison d’Etat. Amour et politique tissent la toile de fond de l’éternel dilemme du drame cornélien. Corneille a, bien sûr, sa Sophonisbe paru en 1663. Comme l’historien latin Tite-Live l’évoquait, cette reine appartient à l’histoire carthaginoise comme romaine.

Epouse successivement de deux rois numides ennemis, Syphax et Massinissa, elle se donne la mort afin de ne pas se soumettre au conquérant romain, Scipion dit l’Africain lors de la deuxième guerre punique. Mariée à Syphax par volonté stratégique, amoureuse de Massinissa, ennemi de son mari et allié de Rome et qu’elle finit par épouser, Sophonisbe place les intérêts de Carthage avant ses propres sentiments et évite à son pays l’humiliation et la vindicte populaire de la rue romaine. A lire le roman de Rafik Darragi, on se surprend à vouloir vérifier la véracité des événements historiques comme des descriptions des lieux et des paysages, dans cette mosaïque bien tunisienne, tout en réalisant que l’auteur ne cherche pas nécessairement à refléter exactement l’Histoire mais à s’y référer. Le passé est ainsi une parabole à la gloire de Carthage actuelle et surtout un moyen pour la critique indirecte des temps présents. Sophonisbe semble être devenue dans ce roman une héroïne positive, un être exceptionnel, une fierté qui peut être suivie en exemple. Nostalgie ? Leçons de choses ? Le passé est valorisé et donne de la femme tunisienne une image de courage et d’honneur qui n’est pas pour déplaire à la vision actuelle qu’en veut donner le pays. Dans ce sens, Sophonisbe appartient à ces grands symboles féminins dans l’histoire du Maghreb, Elissa / Didon, fondatrice de Carthage au 8ème s. av. J.-C. et la Kahina, résistante berbère à la conquête arabo-musulmane au 7ème s. Si cela montre le rôle déterminant de certaines princesses ou reines en Tunisie ou au Maghreb, à travers l’Histoire, cela n’empêche qu’elles fussent toutes trois, des femmes au destin tragique. Trahies ou vaincues par l’ennemi, elles se sacrifient pour l’honneur de la patrie. Il reste dès lors à déterminer la part de la légende de la vérité historique. Et l’on peut se demander ainsi sur les raisons profondes qui poussent à la glorification des mythes et leur agrandissement à travers les époques dans les différentes versions littéraires. Aussi, était-il heureux de valoriser l’héroïsme au prix de la tragédie ? La grandeur est-elle nécessairement dans l’échec ? La lâcheté et la trahison sont-elles du côté du mâle ? Tant de questions qu’il est légitime de se poser. Mais nous étions prévenus, il s’agit plus de littérature que d’Histoire. Le roman de Rafik Darragi est dans la lignée de cette fiction qui prend l’Histoire comme tremplin pour servir de base à des réflexions modernes. Ce qui paraît évident. Si cette démarche est largement esthétique et appréciable, il n’était pas nécessaire, à notre avis, pour des raisons romanesques, d’afficher d’emblée et en avant-propos de l’ouvrage, les objectifs pédagogiques, d’enseignement et de divertissement. La liberté du lecteur est, à ce niveau, sacrée. Mais l’auteur est excusé pour avoir été longtemps pédagogue et professeur à l’Université de Tunis transmettant son savoir sur la langue et la littérature anglaises.

Tahar BEKRI

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