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11 février 2019 1 11 /02 /février /2019 22:11

 

Des soieries  et des femmes : Une rencontre avec Hoda Barakat

 

Hoda Barakat n’est pas une inconnue pour les lecteurs tunisiens ; cette jeune femme de lettres libanaise sera probablement parmi nous au début de janvier pour participer au colloque sur le roman arabe organisé par Beit El Hikma à Carthage. On se souvient de ses ouvrages, écrits en un arabe fluide et coloré : un recueil de nouvelles , Visiteuses,en 1985et trois romans, La Pierre du rireen 1990,  Les Illuminésen 1993 (titre original : ‘Ahl Al Hawa) et Le laboureur des eaux,en 1998 ; ce dernier roman  a obtenu le prix Naguib Mahfouz 2000 ; la version française vient de paraître à Paris, aux éditions Actes Sud ( voir La Pressedu 12/12/01)

 Nous l’avons rencontrée ; voici quelques réflexions livrées à bâtons rompus.

-Vous êtes établie aujourd’hui à Paris…

-Oui, depuis 1989 … 

-Vous êtes titulaire d’une licence de lettres françaises, et pourtant  tous vos ouvrages sont écrits en arabe…

-Oui, parce j’aime beaucoup cette langue ; la langue arabe est passionnante, riche, sublime. Pour moi, ce fut une vraie découverte, puis un défi, car j’ai été éduquée dans une école des sœurs où l’enseignement de l’arabe n’était pas une priorité. J’ai dû faire des efforts pour l’apprendre ; elle est d’une telle malléabilité ; ajoutez à cela la distanciation qu’elle procure puisqu’elle n’est pas une langue parlée, mais je dois avouer aujourd’hui qu’il est difficile de se limiter à une seule culture ; il est enrichissant de plonger dans d’autres cultures, d’autres civilisations. Je suis d’ailleurs un produit de tout cela.  

 

- A propos de la guerre civile au Liban… La guerre , dans cet ouvrage ne constitue qu’une toile de fond…

-Il y a les journalistes, il y a les historiens, il y a les chroniqueurs, tout cela est leur boulot, non le mien ; moi je suis romancière donc  je ne vis pas dans l’exigence de la réalité    

 

- Vous ne vous êtes pas engagée…

- Non, je vais vous dire, moi, je l’ai vécue, cette guerre, elle a changé ma toute  vie, elle a changé ma perception du monde ; mais ça ne veut pas dire qu’elle ne m’intéresse pas ; qu’il n’est pas intéressant  d’en parler mais  j’ai ma manière, ma conception,  ma façon d’en parler  dans les romans,  de parler de ses répercussions sur la société, sur la condition  humaine ; je ne  parle pas directement  de ce que c’est ou de que ç’a été la guerre ; je ne parle pas des différentes convictions politiques, des  différentes  appartenances de milices ou autres , ce n’est pas ça ; moi   j’en parle parce que je l’ai vécue, cette guerre ; pendant les dix sept ou dix huit ans très difficiles de ma vie ; cette guerre est évoquée dans tous mes livres, du premier au dernier ;  on ne peut pas l’ignorer ; cependant, ce qui importe, c’est la manière de la traiter ; je ne vais pas me cantonner à raconter ce qui s’est passé, donner des avis politiques ou autres sur ce fait immense qu’ a été la guerre du Liban, moi je ne crois pas,  moi j’en fais peut-être ma matière  première mais ce que je présente dans mes livres  c’est beaucoup plus riche, plus complexe, plus exigeant…

 

-J’ai lu récemment un beau livre policier, Chien méchant, écrit par un Turc vivant en Allemagne, Akif Pirinçci, qui connaît actuellement un succès fulgurant ( voir La Pressedu 24/9/01); c’est une allégorie à propos de la guerre en Bosnie et ses horreurs. Or, dans votre livre, Le laboureur des eaux, il y a un épisode où le héros s’efforce de trouver un modus vivendi avec  les hordes de chiens sauvages qui écument Beyrouth en ruines ; n’y a-t-il pas dans votre esprit une allusion, une allégorie? Il vous arrive, après tout,  d’évoquer des sujets brûlants avec pudeur, comme l’adultère, par exemple. 

-Un peu…un peu… Mais, vous savez, l’épisode des chiens sauvages, c’est aussi un fait réel. Parce qu’en ce temps de guerre, lorsque les autorités ont commencé à déblayer les ruines, dans les villes, ce problème  s’est effectivement posé. Les gens habitant aux confins de ces villes s’étaient trouvés confrontés à ce problème. Et moi, j’ai été alors tellement impressionnée…J’avoue que ça été un plaisir pour moi de travailler sur ce détail… un retour de l’homme à l’état sauvage…Je suis contente de cette découverte…de tomber sur cet épisode romanesque.

 

- Votre dernier ouvrage, Le laboureur des eaux,est un roman ; de la fiction, mais c’est également une  ode à la gloire des étoffes, à la soie, au velours…

-C’est vrai ; avant je n’avais aucune notion sur ce sujet, je ne connaissais rien aux tissus, mais je me suis documentée ; j’ai consulté beaucoup d’ouvrages et ce fut très enrichissant pour moi ; c’est pour cette raison, d’ailleurs que mes ouvrages ne se ressemblent pas ; ils sont tous différents car chacun constitue une expérience singulière.

 

-Si votre héros occulte la guerre et ses problèmes grâce à ces soieries et à ces velours, votre héroine, Chamsa, par contre,  meurt comme la chrysalide qui déchire son cocon de soie, toute drapée dans la soie…Un exemple extrême  de cette passion érotique particulière aux femmes ? Toujours neutre ? Aucune forme d’engagement, aucune tendance féministe ?

-Non, aucune ; je ne suis aucune tendance ; je ne suis pas féministe ; je ne veux pas créer une fausse situation ; je me sens bien ; je laisse aux autres le soin de défendre la cause féminine.

- Quelques noms ?

-Il y en a beaucoup, mais je ne citerai pas de noms.

Hoda Barakat, comme pour s’excuser, ajouta avec un sourire :

 « Vous comprenez les raisons, n’est-ce pas ? »

 

R.Darragi

Note : Houda Barakat a, depuis cette rencontre, publié d'autres romans, le dernier est Courier de nuit, chez Actes Sud.

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